02/11/2025 reseauinternational.net  22min #295128

Le Livre noir de la colonisation : Les conditions d'une réconciliation

par Chems Eddine Chitour

«Quand trop de sécheresse brûle les cœurs,
Quand la faim tord trop d'entrailles,
Quand on rentre trop de larmes,
Quand on bâillonne trop de rêves,
C'est comme quand on ajoute bois dur bois sur le bûcher,
À la fin, il suffit du bout de bois d'un esclave,
Pour faire,
Dans le ciel de dieu,
Et dans le cœur des hommes
Le plus énorme incendie
»

- Mouloud Mammeri, «L'Opium et le bâton»

Résumé

D'une façon symbolique pour commémorer le premier novembre 1954 nous offrons à la lectrice et au lecteur une récapitulation en quelques pages l'aventure criminelle du pouvoir colonial en Algérie. La colonisation de l'Algérie présente une singularité d'abord par sa durée ; 132 ans c'est-à-dire 48 000 jours. Ensuite elle est singulière par l'atrocité des traitements physiques, et psychiques. Il y a cinquante ans Jean Daniel écrivait qu'en évaluant les dégâts causés par 4 ans d'occupation allemande dans l'imaginaire des Français on peut mesurer sans difficulté ce qu'ont pu faire 132 ans de colonisation atroce dans le vécu au quotidien des 48 000 jours des Algériens. Nous aurons à explorer les voies d'une reconnaissance puis d'une réconciliation à partir du postulat fondamentale que la France sur la base d'un devoir d'inventaire documenté, accepte, enfin, de regarder la vérité en face. La condition la plus importante est que la France se départisse de sa certitude d'appartenir à la caste des races supérieures comme héritage de Jules Ferry de Renan.

Pourquoi la colonisation de l'Algérie pendant 48 000 jours de deuil de sauvagerie de tentative d'éradication de l'identité cultuelle et culturelle n'est pas uniquement un problème de spoliation du patrimoine matérielle revendiquée par les, pays colonisés mais celui de douleurs vives épigénétiques ravivée par la guerre d'indépendance de 2800 jours, qui est un concentré de toutes les horreurs élevées au rang de sciences exactes. L'une des horreurs qui restera comme une infamie totale est la peine de mort et l'exécution des 222 patriotes ; Le You You des femmes, et les invocations d'Allah Akbar, de la Casbah lors d'une exécution à Barberousse sont un cri de détresse à la face du monde, c'est toute l'Algérie qui pleure qui souffre au plus profond de sa chair et qui se rappelle les calvaires des ancêtres dont les têtes sont exposés au Louvres à la merci de tous les voyeuristes qui éprouvent une joie morbide et un ressenti de conquérant en face d'un peuple sans défense.

Dans ce chiffre macabre, le ministre de la Justice François Mitterrand sera sans pitié, plus d'une quarantaine d'exécution sous sa mandature. Bien plus tard en tant que président de la République, il se découvre une âme d'humaniste contre la peine de mort. avec son ministre, Robert Badinter, une loi sur la peine de mort est votée en 1981. L'atavisme étant toujours structurant, de sa personnalité on oublie qu'en 1982 il amnistia les généraux putschistes et sanguinaires de l'OAS et cela même, contre l'avis du Sénat. En fait, Mitterrand était imbu de cette supériorité de race décrite par Arthur de Gobineau envers les peuples soumis.

La réconciliation n'est pas uniquement des dédommagements

Pour rappel «L'Union Africaine a choisi pour 2025 le thème «Justice pour les Africains et les personnes d'ascendance africaine grâce aux réparations». Les dirigeants ont plaidé pour la création d'un fonds de réparations destiné à l'Afrique, colonialisme ou de l'exploitation abusive des ressources naturelles cette démarche ouvre la porte à des attentes celles d'une justice réparatrice. Pour l'ONU, la réponse quant à la restitution est oui. «Le préambule de la résolution 42-7 votée par l'ONU en 1987 précise justement : «Le retour des biens culturels de valeur spirituelle et culturelle fondamentale à leur pays d'origine est d'une importance capitale pour les peuples concernés en vue de ce qui constitue des collections représentatives de leur patrimoine culturel». (...) Une fin de non-recevoir de l'Occident est venue rapidement : Il faut, comme l'écrit l'écrivain nigérian Wole Soyinka, «trouver des réponses permettant d'atteindre les trois objectifs incontournables pour qu'un semblant de paix puisse s'installer l'établissement de la Vérité, la Réparation et la Réconciliation»»... (1), (2)

Singularité de la colonisation de l'Algérie

Une première bibliographie nous apprend que rares sont les pays ayant subi un calvaire aussi long, aussi intense avec un pouvoir colonial décidé à effacer un peuple jusqu' à ce qu'il devienne une poussière d'individu de 1871 à 1891 quelque 200 000 Français ou naturalisés régnait sur 3 millions de sujets ; 30 000 à 40 000 électeurs exerçaient le pouvoir en Algérie, Jules Ferry avait reconnu devant le Sénat le 6 mars 1891 : «Depuis 1871 jusqu'en 1883, c'est assurément dans le sens de la colonisation française qu'on a administré et gouverné l'Algérie (...) la colonisation par la dépossession de l'Arabe». 3

À première vue, on est tenté d'imiter les pays africains anciennement colonisés de demander des compensations et pour les butins pris par la France et arriver à un solde de tout compte. Dans le cas de l'Algérie, cette approche est de loin marginale car le vrai problème réside dans le vécu de chaque jour des 48 000 jours d'occupation de déni, de meurtre de vols de viols et de dépersonnalisation au quotidien. De plus l'Algérie c'était la France, c'est à dire tout est fait pour que le colon se croit en France avec les mêmes lois sauf que qu'il y avait un peuple invisible primo occupant auquel on appliquera l'apartheid inventé par une France convaincue d'appartenir à la race des seigneurs et surtout dirait-on des saigneurs et qu'elle est en droit de dicter la norme du bien et du mal à une population invisible envers laquelle on utilisera un langage zoologique pour reprendre l'expression de Franz Fanon (raton, bougnoule, bicot,..). Dans un essai Max Weber a raison d'écrire pour décrire cette suffisance des colonialistes, basée sur du vent : «Une nation pardonne toujours les préjudices matériels qu'on lui fait subir, mais non une atteinte portée à son honneur, surtout lorsqu'on emploie la manière d'un prédicateur qui veut avoir raison à tout prix».

Il est impossible par fidélité aux 6 millions de suppliciés dus à la colonisation, de circonscrire la dette de la France à uniquement les spoliations, les vols, les méthodes raffinées de boucherie qui vont des enfumades, au napalm, aux produits bactériologiques aux gaz spéciaux aux tortures aux corvées de bois, aux crevettes Bigeard. Toute une terminologie spécifique qu'une nation qui se dit gardienne des droits de l'homme met en œuvre sans état d'âme, s'agissant de vouloir à tout prix éradiquer le peuple algérien, quel qu'en soit le prix. La colonisation en Algérie ce n'est pas que cela, c'est avant tout une mise à mort permanente à la fois physique d'Algériens avec des rythmes différents selon les époques pendant 132 ans. Dans cette approche les douleurs les traumatismes subies par les ancêtres nous interpellent de ne pas oublier de demander justice.

Quarante-huit mille jours de deuil, de sauvagerie méthodique, d'humiliations répétées

La colonisation de l'Algérie, ne peut se réduire à une question de vol de terres, de richesses ou de monuments. Elle a été une expérience totale de domination, Elle fut une tentative d'éradication de l'invisible - de la foi, de la langue, de la dignité. Les géographes, les ethnographes, les linguistes et les médecins du colon ont fait de l'Algérie un laboratoire du mépris. On y mesura les 500 crânes pour classer les races, on y disséqua les croyances pour les ridiculiser, on y traça des frontières pour mieux diviser. Ainsi naquit une science du mépris, où l'idéologie devint équation, et où l'injustice s'habilla des mots de la raison. Ce qui fut détruit ne se compte pas en hectares ni en bâtiments : ce sont les liens sacrés entre l'homme, la terre et le ciel, le chant de la langue qu'on a voulu faire taire, Chaque jour de colonisation fut une mutilation de la mémoire. Chaque décret, une amnésie imposée.

Quarante-huit mille jours de deuil, de sauvagerie méthodique, d'humiliations répétées. Et au bout de cette nuit interminable, deux mille huit cents jours d'un incendie rédempteur - la guerre d'indépendance, concentré de toutes les douleurs, éruption de toutes les colères, convulsion d'un peuple arraché à sa propre mémoire. Elle voulut fabriquer un homme amputé de son passé, un être «civilisé» selon les lois du maître, docile dans son silence et étranger à son propre nom. Ce ne fut pas une guerre comme les autres. Au bout de ce calvaire fait de napalm, de gaz de combat de tortures de bombardement, de guillotine, de faim de radioactivité de gents bactériologiques de regroupent de 40% de la population et de camps d'internement, l'Algérien est un miraculé, un highlander des temps modernes en face de l'incendie rédempteur, de la guerre d'indépendance concentré de toutes les douleurs, éruption de toutes les colères, convulsion d'un peuple arraché à sa propre mémoire mais déterminé à être libre !

Une entreprise d'éradication identitaire

«La suppression des habous a tari la source principale de l'enseignement musulman. Ce peuple, privé de ses maîtres, a cessé d'apprendre». ~ Louis Rinn, 1884

Dès septembre 1830, la conquête française s'est accompagnée d'une politique méthodique d'anéantissement du lien social et cultuel : Interdiction progressive de l'enseignement de l'arabe et du Coran ; Remplacement des repères spirituels par un culte de l'Empire et de la «civilisation» occidentale. Elle fut aidée en cela par une Église prosélyte. La conquête coloniale de 1830 ne fut pas seulement une occupation militaire : elle fut une entreprise systématique de désarticulation des structures religieuses, sociales et éducatives du pays. Le colonialisme a bouleversé non seulement la spiritualité de l'Algérie, mais aussi son système éducatif, social et identitaire. Ces faits furent reconnus à l'Assemblée nationale française elle-même dans plusieurs rapports du XIXe siècle, notamment ceux du député Alexis de Tocqueville (1847) et du général Daumas, qui évoquent la «désorganisation du culte musulman» comme une conséquence directe de la politique coloniale.

Cette politique n'était pas un hasard, mais une stratégie suivie par les différents responsables politiques et religieux tout au long du calvaire de 132 ans : affaiblir les institutions religieuses revenait à affaiblir l'identité nationale. La géographie, la langue, le culte : tout fut redéfini pour désorienter le peuple et le rendre dépendant du nouveau pouvoir. Selon les relevés officiels de la conquête, Alger comptait environ 172 mosquées en 1830. Trente ans plus tard, il n'en restait qu'une douzaine en activité. Les autres furent : détruites pour construire des casernes, des entrepôts ou des édifices civils ; converties en églises (mosquée Ketchaoua transformée en cathédrale Saint-Philippe en 1832). La même hécatombe se produisit à Constantine et Oran : Constantine passa d'environ 80 mosquées avant 1837 à moins de 10 actives en 1860. À Oran, presque toutes les mosquées furent fermées ou réaffectées à des usages militaires entre 1831 et 1850.

Mémoire et transmission générationnelle des traumatismes

La colonisation de l'Algérie fut un laboratoire de déshumanisation. Il semble que les souvenirs douloureux se transmettent de génération en génération. Une expérience bouleversante «ne disparaît pas quand vous mourez. Elle vous survit». Pour Andrea Cooper «Le traumatisme de l'Holocauste se transmet aux descendants. Et pas seulement au travers des récits des parents qui ont connu les camps de concentration, la torture Ce traumatisme laisse une empreinte biologique, une marque sur l'ADN de la génération suivante. Un centre de recherche sur l'holocauste a ainsi été créé pour «accompagner» les «malades». (3)

Mutatis mutandis, en Algérie les traumatismes vécus par les ancêtres sont toujours là. Il y a donc une responsabilité à assumer de la part de la France. Cette durée de 48 000 jours est en effet celle d'un traumatisme ininterrompu, ponctué de massacres, d'exils, d'humiliations quotidiennes. Le corps collectif de la nation algérienne en a gardé une mémoire spasmodique, comme une douleur nerveuse impossible à anesthésier. Effectivement, en plus des méthodes de vols de viols de meurtres d'incendies elle s'est attaquait à l'habitus selon le bon mot du sociologue Pierre Bourdieu professeur au Collège de la France de l'Algérie, ses repères géographiques la colonisation en Algérie a mobilisé : l'ethnographie coloniale, pour classer, hiérarchiser, inférioriser les indigènes ; la géographie militaire et administrative, pour découper et contrôler le territoire ; la linguistique coloniale, pour dévaluer la langue amazigh et arabe en imposant le français comme outil de domination symbolique.

Autrement dit, la colonisation fut une science du mépris, une rationalisation du mal, et de la dépossession. Ce qui a été spolié, c'est la continuité même de l'être algérien : la mémoire, la langue, le rapport au sacré. La colonisation a fracturé le lien entre l'homme, sa terre et son histoire. L'Algérie a mis du temps à panser ses plaies.

Les changements des toponymes

Lorsque la France coloniale a pris possession de l'Algérie, elle n'a pas seulement conquis la terre : elle a désorienté les Algériens en les obligeant à suivre d'autres repères ; C'était d'autant plus douloureux, que les Algériens rendus analphabètes étaient démunis devant ces noms et ces lieux. Elle a rebaptisé les lieux, effacé les noms anciens, redessiné la carte. Chaque village, chaque montagne, chaque rivière portait un nom arabe, berbère ou parfois même préislamique, chargé de sens spirituel ou historique. Les changements des toponymes ont problématisé les anciens repères en imposant les noms tous les tortionnaires qui ont tué violer brûler l'Algérie des noms des villes qui ont changé de nom. C'est une prise de possession symbolique du territoire par le langage. Changer le nom d'un lieu, c'est effacer une mémoire collective et imposer une autre histoire, celle des bourreaux. Le pays est ainsi devenu une carte du triomphe colonial, où les habitants devaient quotidiennement prononcer les noms de leurs oppresseurs.

Le cas emblématique sera celui du Lycée Bugeaud (Alger) aujourd'hui Lycée Emir Abdelkader. Un autre cas, celui Saint-Arnaud (aujourd'hui El Eulma proche de Sétif fut rebaptisée Saint-Arnaud en hommage au sinistre de Saint-Arnaud, qui avait «les États de service d'un chacal». Il avait été l'un des plus cruels exécuteurs de la politique coloniale : Il ordonna en 1845 l'enfumade des grottes du Dahra, où plusieurs centaines de paysans hommes, femmes et enfants furent asphyxiés vivants : «Je fais fumer les Arabes». Le nom ancien, El Eulma, issu du mot «al-ʿulama» (les savants, les lettrés ?), rappelait au contraire la tradition de savoir et de spiritualité de la région. Après 1962, le retour aux noms amazighs arabes, ou patriotiques fut un acte de réappropriation de la mémoire, de guérison symbolique : rendre à la terre ses repères, à la société son lexique identitaire. Redonner à un lieu son nom, c'était rendre à la mémoire sa géographie. pour restituer aux générations futures le sens profond des lieux qu'elles habitent.

Bref descriptif des horreurs de l'invasion et des souffrances

En préambule il nous faut citer d'abord la cause originelle de l'invasion à savoir le refus de payer la dette du blé fourni par la Régence pour sauver la Révolution française de la famine ; Selon les archives et les historiens comme Charles-Robert Ageron : La France devait au Dey environ 24 millions de francs (entre 1793 et 1815). Sans compter les intérêts sur plus de 190 ans, (1%) les montants seraient de 5,2 milliards US$.

Juste après l'invasion et la curée, le trésor de la Casbah fut partagé entre les soudards à commencer par de Bourmont et d'autres, les agioteurs dont de nombreux juifs. Dans son ouvrage bien documenté Pierre Pean, retient 250 millions de Francs-or = 72,5 tonnes d'or. Un calcul des intérêts depuis 1830 même approximatif amène à une estimation avec un taux d'intérêt le plus bas soit 2% sur 195 ans, cela ferait 300 milliards $ !

Dans l'impossibilité de faire un inventaire exhaustif nous allons citer les actions les plus atroces subies par les Algériens tout au long des 132 ans, sans nous appesantir sur les pertes humaines et les dégâts quantifiables.

1. Le non-respect des morts

Juste après l'invasion la première action de l'armée et des organisateurs de la curée est d'éventrer les cimetières des morts, sans aucun respect, ramasser les ossements les envoyer à Marseille, pour les utiliser dans le blanchiment du sucre mais aussi comme engrais pour augmenter les rendements de production de blé français.

2. Les vols et la spoliation des terres

De 1830 à 1971 ce fut la période du sabre et comme l'écrit Victor Hugo : «l'armée se fait tigre». Parlant du sinistre Saint Arnaud, spécialiste des enfumades il déclare qu'il avait «les états de service d'un chacal». Après cela le pouvoir civil entre en jeu et la dépossession commence. La colonisation a été en grande partie économique et les terres algériennes ont été spoliées au profit des colons français. La loi Warnier a arraché plus de 2.5 millions d'hectares à leurs propriétaires depuis la nuit des temps. Des milliers de familles ont été dépossédées de leurs terres, ce qui a causé une perte de moyens de subsistance et une profonde fracture sociale.

3. Les Algériens ont été «utilisés» comme chair à canon durant les 9 guerres coloniales

Le recrutement forcé pour les deux guerres mondiales, où des dizaines de milliers d'Algériens ont été envoyés en Europe, est l'un des aspects les plus tragiques de cette période. Des milliers de morts et de traumatisés pour le rayonnement de la France

4. L'une des périodes les plus sombres a été celle des massacres et des famines

L'utilisation de la famine comme a été largement documentée. De nombreux historiens estiment qu'entre 1,5 et 2 millions de personnes ont péri. C'est un grand traumatisme est celui de l'effondrement de la population algérienne, suite à la politique du Sabre du goupillon. En 1962, la population était de 9 millions. Sans guerre, famines, exode rural, elle aurait pu atteindre 15 à 20 millions. Cela veut dire que l'Algérie a raté son entrée dans le XXe siècle et est restée à un stade d'analphabétisme effarant qui a tenu l'Algérie en marge du progrès.

5. L'analphabétisation et la dégradation du capital humain

Le taux d'alphabétisation en Algérie était de 10% à l'indépendance en 1962, résultat direct d'une politique coloniale qui a systématiquement ignoré l'éducation des Algériens. À l'indépendance tout était à faire. Une vingtaine de pays participait à des degrés divers, à nous aider et du même coup indirectement à formater le cerveau de l'élève.

6. La guerre d'indépendance : 2800 jours un concentré de toutes les horreurs humaines

Nous avons connu toutes techniques de vol, de tueries, de napalm de camp de regroupement où 40% de la population était privées de tout. Sans compter le nucléaire, les incendies, les produits chimiques, les noyades, la torture, les corvées de bois. Le journaliste Jean Michel Apathie qui a eu le courage de dénoncer en direct, les méthodes de l'armée française en déclarant que la guerre d'Algérie, ce sont des milliers d'Oradour sur Glanes (village où la division Das Reich a enfermé des villageois dans une église et y a mis le feu). Il ajoute, «nous n'avons pas fait comme les Allemands, ce sont les Allemands qui ont fait comme nous citant les enfumades...» Jean Michel Apathie a permis aux langues de se délier et même les historiens ont trouvé le courage pour, enfin, dire la vérité sans les circonvolutions de ceux qui ne veulent pas brusquer le corps social français.

7. L'émigration forcée des Algériens (les Tirailleurs Bétons)

Les Algériens ont été contraints de quitter leur pays pour travailler dans les mines, les carrières, les usines et, après l'indépendance, dans la construction en France, souvent dans des conditions de travail inhumaines. Cette émigration a également contribué à une perte de capital humain en Algérie, qui s'est vu privé de nombreux talents et compétences.

8. L'émigration choisie et le retour des diplômés

Plusieurs centaines de milliers d'Algériens ont travaillé en France dans les métiers les plus durs. L'émigration choisie a consisté à faire venir en France des Algériens diplômés pour servir d'experts dans divers secteurs. L'émigration choisie c'est 8000 diplômés sont appelés chaque année. Depuis l'indépendance, fuite des cerveaux serait de 500 000 diplômés qui contribuent au rayonnement de la France. Leur formation selon les normes de l'UNESCO serait de 100 000 $/diplômé. Une première estimation donne près de 500 milliards de $. De plus, formés en langue françaises, ces diplômés enrichissent la langue française. Ce sera sans conteste, l'un des dossiers qu'il faudra négocier dans le cadre d'une réconciliation

9. Le butin : un trésor difficilement quantifiable

Comment la spoliation coloniale a permis de créer le Louvre ?

Le musée du Louvres a fait l'objet d'un vol le 19 octobre 2025. Il est utile de relater comment s'est constitué le Louvres. On sait que les musées des anciennes puissances coloniales ont été constitués en grande partie grâce à des pillages systématiques des anciennes colonies. Des touristes qui ne connaissent pas la symbolique voire la violence de chaque œuvre volée qui s'il pouvait parler, il raconterait une douleur, une violence, un déni de non-droit à ses possesseurs. Ainsi, au Louvre, des dizaines de milliers d'objets qui ont chacun une histoire nous interpelle.

Farah Neyri nous explique comment le Louvres s'est enrichi en citant Napoléon : «Le pillage d'œuvres d'art par Napoléon préfigure les excès des Français en Afrique. Napoléon somme les États italiens qu'il conquiert de lui remettre des œuvres d'art qui font la fierté de la péninsule. Venise du tableau de Véronèse «Les Noces de Cana» (1563). Bonaparte rapporte de ses conquêtes de quoi remplir ce qui sera bientôt le musée du Louvre. Et le pillage auquel il s'est livré, est vorace et méthodique Après sa défaite à Waterloo en 1815, ses adversaires s'empressent de restituer les trésors spoliés réunis au Louvre». (4)

Le pillage des objets n'était pas un acte isolé : il s'inscrivait dans une volonté de domination culturelle. La France coloniale cherchait à prouver que l'Algérie n'avait pas d'histoire, Dès les premières années de la conquête, la France coloniale a considéré l'Algérie non comme un pays, mais comme un immense musée à ciel ouvert. Ce pillage se fit sous couvert de «mission archéologique» ou de «protection des antiquités». (5)

«Djemila joyau du patrimoine d'Algérie, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, le général de Lamoricière proposa le démontage et le transfert de l'arc de triomphe de Djemila vers la France, pour «orner» la ville de Paris. Entre 1830 et 1900, des milliers de pièces - statues, mosaïques, colonnes, stèles funéraires, bijoux enrichissent encore aujourd'hui : Le musée du Louvre, le musée de Saint-Germain-en-Laye, le musée de Lyon, et d'innombrables collections privées». (6), (7)

«Le patrimoine immatériel - langues, traditions, musiques, rites, savoir-faire - a subi une érosion encore plus profonde, car invisible et durable. Les zaouïas et mosquées abritaient des bibliothèques entières de manuscrits religieux, poétiques et scientifiques. Un rapport de 1843 signale la saisie de 5000 manuscrits à Constantine». (8), (9)

Les 16 canons d'Alger exposés aux Invalides à Paris font partie du butin. Enfin, l'Algérie réclame également la restitution du canon géant (7 mètres de long 12 tonnes) Baba Merzoug, fabriqué en 1542.

La responsabilité des élites coloniales dans le drame

Pendant près de 48 000 jours, la colonisation de l'Algérie ne fut pas seulement une domination militaire ou économique ; elle fut une entreprise systématique de déracinement. Il y a une distinction fondamentale entre la classe dirigeante et le peuple de France, une dichotomie «des races supérieures» et du peuple. Ce n'est pas la France toute entière, mais des élites coloniales qui ont forgé le mythe de la «race supérieure», et ces élites doivent être distinguées des masses populaires françaises qui, souvent, ont été elles-mêmes des victimes de ces choix. Car, pour l'histoire à la fin, en 1962, les élites économiques et idéologiques, - les Borgeaud, les Schiaffino, les Blachette, ainsi que les chefs de l'OAS - furent les premiers à se replier laissant derrière eux les Européens d'Algérie, déboussolé. Ce fut le temps du «sauve-qui-peut», avec le slogan sinistre : «La valise ou le cercueil».

Au total, près de 27 000 jeunes appelés français ont trouvé la mort en Algérie entre 1954 et 1962. Ils n'étaient pas les héritiers de l'empire, mais les enfants d'un peuple modeste, souvent rural ou ouvrier, envoyés défendre une cause qu'ils ne comprenaient pas, au nom d'un empire qui se mourait déjà. Face à eux, près d'un million d'Algériens, hommes, femmes et enfants, ont péri victimes d'une guerre qu'ils devaient faire, pour que leur terre retrouve son nom, sa dignité et sa voix.

Reconnaissance et Réconciliation

L'Algérie ne réclame pas vengeance, mais reconnaissance. Et dans ce récit, il faudra admettre que la colonisation fut bien plus qu'une spoliation de terres : ce fut une tentative d'extinction d'un monde symbolique, d'une civilisation enracinée dans la foi, la langue et l'habitus. La réconciliation suppose d'abord, un devoir d'inventaire lucide bien documenté. Pour qu'il y ait réconciliation, il faut d'abord que la faute soit reconnue dans sa totalité. Non pas comme un simple épisode de l'histoire, mais comme une blessure morale portée à un peuple qui avait tous les attributs d'une nation.

C'est redonner un sens universel à la justice. Le courage d'un grand peuple est de se regarder en face comme l'ont fait à des degrés divers plusieurs pays coloniaux, s'arrêtant cependant à une compensation financière et par conséquent un solde de tout compte. L'Algérie n'emprunte pas cette voie car elle a eu un parcours fait de douleur à la fois physique et moral. Il est bien connu que'une fois que la dimension exceptionnelle de la colonisation sauvage de l'Algérie a nul autre pareil est assimilée, il faut bien se tourner vers l'avenir et avancer ! La France se grandirait en présentant des excuses officielles pour les actes de violence et d'exploitation commis durant la colonisation. Cela inclut la reconnaissance de la responsabilité dans la souffrance.

«En fait, le passage de la mémoire à la reconnaissance puis à la réconciliation, de la culpabilité historique à la réparation morale et civilisatrice. la mesure de sa faute pour envisager des solutions véritablement empathiques et de dignité» ouvrirait un horizon d'une rare profondeur amenant à une réconciliation éclairée, digne, consciente de la gravité du passé mais tournée vers l'avenir. Ce devoir est une exigence de vérité : car on ne se réconcilie pas avec ce qu'on ignore, ni avec ce qu'on nie.

Conclusion

La colonisation de l'Algérie par la France a causé des dégâts multiformes, durables et profonds, qui ne peuvent être ignorés ni effacés simplement. L'évaluation financière ici reste indicative mais essentielle pour initier une reconnaissance sérieuse, des réparations tangibles et une mémoire partagée. Ces mesures n'effacent pas le passé, mais elles peuvent constituer la base d'une réconciliation historique digne, équilibrée et fondée sur la justice. «Il faut imaginer le futur qui passe forcément par la lucidité ! Un examen sans complaisance mais avec le recul du temps permettrait d'évacuer la partie émotionnelle pour s'en tenir aux faits et envisager une justice restauratrice œuvre dans un esprit de réconciliation entre les deux peuples. Viendra, ensuite le mode de réparation qui peut être multiforme et sans arrière-pensée si ce n'est la volonté d'aller de l'avant pour construire. Une approche vise à évaluer concrètement et financièrement les souffrances, les pertes humaines, économiques, culturelles et démographiques subies par l'Algérie durant la colonisation française et à proposer des réparations tangibles». (10)

La France profonde et non la droite revancharde et l'Algérie pourront, alors envisager en commun non plus celui de la domination mais celui de deux mémoires réconciliées au service d'un humanisme et surtout de notre héritage représentée par ces jeunes riches de deux cultures et forgerons de la fraternité. Ces propositions ne sauraient effacer les souffrances et les injustices, mais elles pourraient ouvrir la voie à un processus de réconciliation sincère et à une reconnaissance des torts commis. La restitution ne se mesure pas uniquement en termes financiers, mais aussi dans l'engagement à reconstruire ensemble une relation basée sur la justice et la vérité. Pour aboutir à un partenariat dans l'égale dignité des deux peuples.

 Professeur Chems Eddine Chitour

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